No Man’s land

Notre barrage mental doit résister à des tsunamis multiples et dont l’intensité varie selon les arrivages. Dès l’enfance, nous sommes submergés par des vagues de déceptions qui engloutissent nos rêves et notre candeur. Les parents et la fratrie d’abord, dont l’impact produit un cratère duquel nous ne sortons jamais vraiment. Une source inépuisable de tourment, un précipice dans lequel nous retombons, encore et encore, dès que la vie nous fait trébucher. Le socle est vacillant, la base fragile, et c’est sur cela que nous devons tenter de construire un édifice solide qui devra abriter notre amour propre.

Puis, les amis, ces nouveaux espoirs de connexion profonde et sincère, se révélant n’être autre que d’amères façades synthétiques et factices auxquelles on se heurte dès qu’on essaye d’être vrai, ou qu’on a des problèmes dans nos vies. L’acidité de ces révélations qui se succèdent forge petit à petit une terreur du vide en l’être authentique que nous sommes, en proie à la question dont nous chercherons la réponse à jamais : à quoi sert-il d’exister ?

Si même nos proches, famille et amis, sont capables de nous faire du mal, de nous renier, de nous heurter, de nous abandonner et de nous tourner le dos, alors… à quoi bon ? L’existence en solitude n’est ni attirante ni rassurante, ni même envisageable. Et pourtant, la société nous apprend, par le biais de méthodes barbares, que nous sommes toujours seuls dans nos vies, une expérience où même les personnes de ‘confiance’ ne sont que rarement dignes de cette dernière.

Enfin, nous nourrissons un espoir ardent et idéalisé par la société, cette traitresse cruelle et sans pitié, que la confiance et le réconfort de l’esprit, en lesquels nous croyons envers et contre tout et dont nous avons besoin, pourront être dénichés au fond du cœur d’un compagnon de vie, un époux. Là encore, les jours se remplissent de proximité et de confidences, de partage et d’émotions, d’expériences communes et d’obstacles surmontés ensemble, pour un jour découvrir que la personne qui sait tout de nous est capable de nous tromper, de nous trahir. Notre confiance, si durement accordée, s’en retrouve déchiquetée, le vide nous sourit de nouveau. Le néant, incompréhensible et terrifiant. Nous tombons encore de si haut, là où nous nous étions hissés avec une douce allégresse pour nous rassurer qu’enfin nous avions trouvé une sécurité, un havre de paix, une connexion éternelle, un amour inconditionnel.. un sens à cette existence spirituelle dont nous n’avons finalement qu’une vague idée.

Lorsque s’écroule ce dernier rempart pour notre santé mentale, le monde revêt une lueur lugubre et nauséabonde. Nous errons dans les rues, perdus, traumatisés, terrifiés, las, en sang.. à la fois médusés et aigris, perturbés et rageurs, face à tant d’injustice, d’impossibilités… Comment a-t-il pu trahir ma confiance? Comment faire une chose pareille à un être qu’on aime, soi-disant? Ou alors, l’amour n’a jamais été… ce n’était pas réel. Le précipice se réouvre, béant et gargantuesque, nous sommes happés vers ses profondeurs abyssales encore une fois, une peur viscérale insoutenable se saisit de nous.

Comment pardonner? Comment avancer? Comment.. et pourquoi? La fin heureuse semble n’être qu’une mauvaise plaisanterie, un hoax, utilisé pour nous bercer d’une illusion impitoyable dès le plus jeune âge et nous donner une impression de but ultime, de sens à la vie.

L’amour véritable n’existe pas, il semblerait. Sauf pour ceux que nous avons créés, lorsque nous sommes de vrais parents, non pas des êtres égoïstes qui ont décidé plus ou moins nonchalamment de procréer par obligation et pression sociale. A ces petits êtres seuls alors appartient cette sensation d’appartenance à une vie qui a du sens, une bouée à laquelle se raccrocher quels que soient les tsunamis qui déferleront inévitablement sur eux. Un amour inconditionnel véritable qui fait de cette univers un endroit moins froid, moins effrayant, moins cruel. Pour nous autres, les mal-aimés, l’univers est un no man’s land peuplés d’entités sanguinaires, où nous devons survivre sans trop savoir pourquoi, si ce n’est pour aimer inconditionnellement comme nous aurions voulu l’être nous aussi.

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