Il arrive, il est là, le buste penché vers l’avant, savant déséquilibre qui lui permet de foncer vers une cible, la tête entrainant le reste de l’attelage vers un cap peu assuré. Les jambes courtes tricotent pour assurer à l’ensemble une motricité suffisante.
C’est un bouledogue, français par naissance mais probablement plus sudiste que quoi que ce soit d’autre. Il jouit d’une réputation, incarne une légende, à deux doigts du mythe local : c’est le roi du poulet rôti, le king du burger froid !
C’est donc avec un élan, symptomatique d’une consommation accrue de stupéfiants alcoolisés, que cette véritable boule(dogue) de flipper déboule dans son royaume, il ricoche entre les tables comme entre des bumpers, les yeux des convives s’allument comme des cibles activées, le compteur des degrés d’alcool monte.
Parlons-en des convives, ces tablées peuplées de créatures biscornues et bigarrées savourent la visite du ‘patron’, le style y est rude, la féminité est abimée par quelques paroles abjectes crachées haut et fort, les regards sont aussi méprisants que l’animal est indigent. La masculinité, elle, est ornée de tatouages exécutés à la truelle un soir de cuite, le débardeur type ‘Marcel’ laisse échapper quelques effluves, ça sent au mieux le déo Leader Price, au pire le vapo « Petit coin » de Super U.
Le patron, le regard vide, les aisselles suintantes, déambule et roule au grès de la houle comme un boulet de canon sur le pont d’un navire, il s’accroche à quelques verres, dévisages quelques personnes et présente l’écœurante manie de vouloir palper, sans consentement préalable, toute personne considérée du beau sexe. Théâtre affligeant d’un homme en plein naufrage, synthèse absolue de la décadence totale de ces tristes heures. Spectaculaire !
Et pourtant, au loin, plane une douce mélopée, chargée d’émotions, une voix douce et claire qui parvient à faire coexister délicatesse et revendication. Les yeux clairs, perçants et lumineux mêlant affirmation et résignation animent une silhouette charismatique, éthérée et mystérieuse. Sans le vouloir vraiment elle désinfecte la scène de son timbre de cathédrale. Il faudra au moins ça pour nettoyer ce lugubre lieu de mauvais goût peuplé d’individus qui bâfrent et rient vulgairement à des boutades indignes en se tapant sur les cuisses, sans s’apercevoir que derrière eux et dans leurs oreilles, le miracle est en train de s’accomplir : la voix de la pureté est descendue d’ailleurs pour apporter grâce et beauté. Dommage, ils n’en feront que graisse et boutons…
Fuck them all.
