Un soleil pre-estival darde ses innocents rayons sur une foule qui grouille sur un parking au sol caillouteux. L’ambiance est exagérément bon enfant, mêlant toutes sortes d’individus tous porteurs d’aberrations morphologiques ostensiblement assumées. C’est trop beau pour être vrai, enfin matière à étudier.
Entourés de véhicules historiquement obsolètes, ça déambule l’air faussement dégagé, ça erre, ça va et ça revient entre divers tas de ferraille dont la rouille a été masquée par de multiples couches de vernis coloré, allégorie du camouflage esthétique qui touche cette population dégénérée.
Le postulat est simple, présenter et admirer ce qui n’est plus. Ce qui fut mais qui n’a plus lieu d’être. Vielles carcasses couinantes, vieux cycles motorisés puants et bruyants, cette mode importée d’ailleurs que certains font passer comme culturellement héritée d’une vie clairement inventée pour ne pas dire rêvée. Ils sont là pour célébrer un style de vie qu’ils n’ont jamais connu, le made in U.S.A façon baguette de pain, et c’est bien là tout le drame.
Les profils diffèrent mais sont tous des resucées d’une vielle image rassie venue des Amériques à travers le prisme déformant et vulgaire d’un Hollywood malveillant.
On y trouve le bonhomme aux cheveux blancs, longs et sales lâchés sur un blouson en cuir brodé de badges colorés évoquant quelques appartenances imaginaires à des groupes de rebelles, des ‘angels’ qui n’ont jamais vu que les routes nationales de l’hexagone, subodorant que la ‘66’, c’est pareil mais en plus sec. Des mâles dominants à la cabine avancée, exubérance d’une panse trop remplie de bière probablement plus belge que ricaine et farcie des graillons locaux infectes, escamotant durablement le modeste tuyau urinaire de la vue du protagoniste, l’obligeant à développer des talents de toucher/palper afin d’orienter le plus convenablement possible un timide jet d’urine, exploit qu’une dégénérescence prostatique évidente oblige l’homme pressé à maîtriser plusieurs fois par heure. Mais ça domine du regard les autres et particulièrement les femmes croisées dans ce va et vient mécanique au milieu d’épaves mécaniques elles aussi.
Elles ne sont pas en reste, soumises à une misogynie palpable, elles sont complices de la situation, vêtues de vestons en cuir trop courts, ça montre lacets et œillets métalliques, ça dissimule à peine les excroissances mammaires dans lesquelles la graisse a depuis longtemps remplacé la grâce. L’élégance est absente de tout l’ensemble, remplacée par des bottes mi mollet surplombées d’un short en jeans trop court pour dissimuler les excès lipidiques d’une alimentation coupable et hors de tout contrôle. Ca déborde, de remue, ça rebondit, flasques mouvements d’une peau trop sollicitée par des abus irréversibles.
Mais l’unité est là, pourtant. L’écosystème est vivant, reconnu et reconnaissable, la famille du mauvais genre est réunie et fière de ce qu’elle pense représenter : un esprit retors et libre de toute contrainte, à condition toutefois que les versements de la C.A.F demeurent inchangés. Au son d’un groupe live aux guitares saturées, de paroles hurlées dans un micro mal réglé. C’est fort et faux, mais c’est le son de la liberté, celle du far west. Qui de son Stetson ou de son médaillon de ceinture au cheval dressé façon Ford Mustang (la Renault Kangoo est sur le parking, pourtant). Ca sonne rock, pour les durs, les vrais, les anciens qui connaissent la vie difficile, les 39 heures par semaine à l’usine, les temps durant lesquels les disques de country étaient rares et ou le King venait de succomber, assis sur son toilette étouffé par son vomi …
Et puis passe l’individu touché par le seigneur, LE représentant magique de ce mouvement de cloches informes, celui qui attire tous les regards, le bellâtre qui irradie de sa magnificence toute l’assemblée de cafards poussiéreux. Il survole le terrain, comme en lévitation, le veston en jean est impeccablement ouvert sur un torse dodu et copieusement poilu, le pantalon est sale, la chaîne façon gourmette retient un portefeuille bombé, ça sent la chique et le mollard mais c’est assumé. C’est l’odeur du mâle, l’aura du dominant ultime. Le regard dissimulé derrière des lunettes noires qui recouvrent jusqu’au commissures de yeux, il toise, méprise et provoque les femelles déjà soumises. Son arme ? Son atout unique ?
Il est simple, bien que frappé d’une alopécie congénitale contrariant lourdement son désir de silhouette capillaire en surplomb, il a su, par miracle, donner assez de volume au 12 poils restants une forme bananoïde satisfaisante, chargeant cette touffe fatiguée, représentante d’une toison jadis abondante, d’assurer la difficile tâche de perpétuer la silhouette d’un Elvis décidément parti trop tôt. Et il étincelle, il suinte la supériorité, il sera le dernier souvenir d’un rassemblement pestilentiel de bêtise et de mauvais goût.
Quel est le rapport entre ceux-là et la beauté ? Comment vivre cette vie par procuration sans souffrir d’autant de crasse, de bruit et d’abandon ? Il est donc possible d’oublier son humanité pour ces clichés ? Se sentir unique dans une telle uniformité ?
Confirmation des confirmations, ce monde échappe à l’entendement. Il est déjà mort, ou je ne lui appartiens plus, le résultat est probablement identique. Je quitte l’endroit rassuré de n’avoir rien compris au fondement de cette dérive. Il vaut peut-être mieux ne plus rien comprendre… Ca me va.
Je pars.